SANS TREVE

Âge d'or ou prison dorée ? Retour d'expérience et perspectives sur les groupes publics autonomes

En 2020, au tout début du second confinement, nous avons posé les fondations d’un nouveau groupe. Nous venions de divers horizons et l’ambition était de reprendre à plat les réflexions sur la révolution, sur la base de nos diverses expériences. Le groupe était fermé mais nous avions beaucoup de liens avec le milieu et invitions régulièrement de nouvelles personnes à nous rejoindre.

Nous étions autonomes dans le sens où nous avions un horizon politique non gestionnaire – notre utopie n’était pas pensée comme un programme coordonné par le dessus mais émergente de la base – et que nous nous organisions en autonomie - nous réfléchissions, décidions et agissions par nous-mêmes.

Malgré l’isolement et le peu de perspectives de mobilisations ce fût une période riche de questionnements et d’expérimentations. Beaucoup d’entre nous y ont gagné en perspectives et assurance, et avions malgré tout le sentiment d’avancer. Nous y avons tissé des liens forts qui perdurent encore aujourd’hui malgré la distance et les bifurcations.

Peu à peu s’est installée l’idée d’ouvrir complètement cet espace que nous avions gardé relativement secret pendant près de deux ans, pour rencontrer plus de monde et se dôter de nouveaux outils d’intervention. Alors de transformer ce groupe fermé et secret en groupe ouvert et public.

Tout le monde n’était pas également confiant dans ce pari. Cela ne risquerait-il pas de nous exposer davantage à la surveillance et à la répression ? Allions-nous, à la manière des Assemblées Générales, être essentiellement tourné.e.s vers l’intervention, et mettre de côté la discussion politique de fond ? Accueillir autant de monde ne risquait-il pas de diluer ce Nous qui avait mis du temps à se tisser ? Mais il fallait tenter quelque chose et aucune alternative ne recueillait plus de consensus.

Alors qu’en est-il aujourd’hui ? Au-delà de notre tentative, les groupes publics autonomes sont de plus en plus nombreux en France. Ils s’articulent généralement autour de 3 principes : l’intervention, l’ouverture et la composition. Ils ont reçu des retours très contrastés du champ de l’autonomie, perçus tour à tour comme le tapis rouge vers la révolution ou un énième avatar contre-révolutionnaire, posé sur la même étagère que les partis et les syndicats.

Alors, après plusieurs années d’organisation au sein de ces espaces voici une vision personnelle de ce qu’on a tiré de ces expériences, des limites rencontrées et, espérons-le, des voies praticables pour les dépasser.

INTERVENTION

L’intervention, la volonté d’agir dans le réel, bien qu’elle ne soit pas une caractéristique propre aux groupes publics autonomes, y est souvent mise en avant pour se distinguer d’autres groupes qui – selon eux – “parlent trop”.

Les groupes publics ont généralement plus de membres, ce qui procure des avantages évidents pour les actions :

1 – On peut plus facilement tenir un rapport de force comme un blocage ou une occupation, et certaines actions nécessitent un minimum de nombre pour assurer tous les rôles-clés.

2 – On peut faire plus tourner les rôles et éviter de surcharger toujours les mêmes personnes (en théorie).

3 – Au-delà du pur poids numérique, les nouveaux.elles membres ajoutent à la base commune de savoirs qui peuvent être transmis et employés pour les actions, ce qui ouvre encore le champ des possibles.

Mais là où les groupes publics peuvent (légitimement) rendre perplexe, c’est leur capacité à organiser des actions de façon publique, c’est-à-dire avec des chances que l’ennemi puisse connaître les détails du plan, nous faisant perdre l’effet de surprise et nous exposant à plus de risques judiciaires. Mais ce n’est pas tant le cas en pratique.

Effet de surprise

Tous les détails des plans d’intervention ne sont pas diffusés publiquement. Il y a différents niveaux de confidentialité avec lesquels on peut composer :

Rien n’oblige les groupes publics à diffuser un appel public à l’action. C’est un outil parmi d’autres qu’on peut employer, selon ses avantages et inconvénients contextuels. Le seul impératif est de décider des grandes lignes en réunion décisionnaire, celles appelées publiquement.

Si la réussite de notre action nécessite que nos ennemis n’aient pas même une vague idée de ce que nous avons l’intention de faire alors la forme publique n’est probablement pas le meilleur choix. Donc on ne peut effectivement pas tout organiser dans un groupe public autonome, le cadre a ses contraintes. Cependant, si l’on jongle bien entre les différentes strates d’organisation, on a tout de même une grande marge de manœuvre.

Ainsi il n’y a pas des actions secrètes et d’autres pas, mais différents niveaux de confidentialité qui s’ajustent sur une ligne de crête.

Risques judiciaires

Au-delà de l’effet de surprise, la principale crainte est la répression judiciaire. Organiser des actions publiquement n’est-il pas la voie royale vers la prison ? Devons-nous nous limiter à des actions purement légales ?

D’abord les forces de l’ordre peuvent se douter que telle ou telle action a été planifiée par le groupe public et avoir une vague idée des personnes qui en seraient à l’origine. Mais ils n’ont souvent aucun moyen de le démontrer, les groupes publics revendiquant rarement en leur nom leurs actions, et leur nombre de membres conséquent brouille les pistes des responsables.

De plus, comme évoqué plus tôt, il peut coexister différents niveaux de confidentialité dans l’organisation des actions. Les éléments du plan les plus judiciarisables peuvent être réservés à des strates plus opaques.

Aussi, les groupes publics ont généralement un souci tout particulier pour la solidarité face à la justice. Des formations juridiques y sont tenues régulièrement pour indiquer les “erreurs bêtes” (comme ramener son portable en manif) et les mesures de précaution qui peuvent rendre le travail de la justice le plus difficile possible (comme ne pas parler en GAV ou ne pas signer la saisie). Les procès sont préparés collectivement, ce qui soulage beaucoup du poids pour le.a camarade inculpé.e et permet souvent de trouver des failles dans le dossier et des lignes de défenses solides. Cela prévient de beaucoup les peines lourdes, qui demeurent rares.

Si on ne choisit que des actions sans aucun risque de garde à vue ou de procès, le champ des possibles est très restreint. Ce qui importe avant tout c’est d’être conscient.e des risques encourus, et de décider selon ce que l’on est prêt.e à accepter pour soi et pour le groupe.

Pour conclure, le potentiel d’intervention des groupes publics autonomes ne réside pas seulement dans leur nombre brut, mais également dans la multiplicité de savoirs(-faire) et de niveaux de confidentialité avec lesquels ils peuvent agencer des actions originales et ambitieuses.

OUVERTURE

L’ouverture se définit simplement comme le fait qu’on peut rejoindre le groupe sans y avoir été invité (contrairement à la cooptation). La motivation première est évidemment de grossir les rangs, et nous sommes effectivement plus nombreux.ses. Des gens sans aucune expérience politique rejoignent le groupe et peuvent rapidement y trouver leurs marques (si toutefois il y a un effort de transmission).

Mais le nombre n’est pas sans contreparties. Il alimente une certaine dilution de la responsabilité : plus on est nombreux.ses, moins on se sent spécifiquement tenu.e de prendre des responsabilités au sein du collectif, car probablement d’autres se désigneront et qu’iels seront plus expérimentées pour cette tâche.

Comme dit plus haut le nombre donne un avantage sur l’intervention. Cependant il se manifeste avant tout dans des actions où un pur poids numérique peut faire la différence (comme un blocage par exemple). Mais dès qu’on veut aller plus loin, être plus ambitieux.ses sur le plan logistique et créatif, cette réserve ne nous est pas d’une si grande aide.

Cette dynamique peut également pousser des gens à partir. D’un côté certain.e.s accumulant beaucoup de responsabilités se fatiguent jusqu’à désinvestir le groupe (ce qu’on appelle parfois le burn-out militant), tandis que d’autres s’investissant peu se sentent moins appartenir au groupe, plus dispensables, et quittent de même le groupe, ne voyant pas quel sens a leur présence dans cet espace.

Pour toutes ces raisons le nombre n’est pas un bon indicateur de la force d’un groupe.

Mais admettons que nous parvenions à répartir correctement les tâches, à s’efforcer que tout le monde se sente un minimum impliqué, et faire gonfler le nombre indéfiniment. Il y a cependant une limite : celle de la réunion décisionnaire. Il y a un seuil – déjà atteint dans beaucoup de groupes publics autonomes – où tout le monde n’a pas la place de défendre son point de vue dans l’espace qui va décider des éléments-clés de la suite. Souvent on coupera le débat pour acter, quand bien même on ne soit pas allé au bout des réserves, et que beaucoup n’auront même pas eu l’occasion d’être exprimées.

Alors des dynamiques de pouvoir de plus en plus aiguës s’installent et la réunion décisionnaire devient une sorte de cercle à part – une centrale – qui décide pour un cercle plus élargi d’exécutant.e.s, entamant alors le principe d’autonomie.

Dans la perspective de la massification nécessaire pour un rapport de force conséquent, cette forme ne serait pas viable. Il y aurait au mieux un roulement de la centrale (mais une pyramide qui se renverse sur l’un de ses côtés n’en demeure pas moins une pyramide) et au pire l’ancrage d’une hiérarchie pure et dure.

Mais quelle serait l’alternative ? Avoir une limite de nombre ? Ce serait absurde. Également ce serait se priver de futures rencontres. Ou alors on se divise en deux groupes arrivé à un certain stade ? Mais quel serait le critère de division ? Comment faire le choix douloureux de se séparer ?

En allant au bout de sa logique l’ouverture semble nous imposer un dilemme inconfortable : le nombre au prix de l’autonomie ou l’autonomie au prix du nombre.

COMPOSITION

La plupart des groupes publics autonomes présentent le principe de composition à peu près comme ceci : “Le groupe n’a pas de ligne politique définie. Pour y rentrer il n’y a donc aucun pré-requis idéologique.”

Cette idée est présentée comme allant de paire avec celles d’intervention (pas de ligne politique donc on n’a pas à en débattre, on est là pour agir maintenant) et d’ouverture (pas de prérequis idéologique donc encore plus ouvert en théorie).

Dans les faits cela se matérialise souvent par une certaine défiance à l’égard des sujets à forte implication stratégique et politique, qu’il faudrait éviter pour maintenir ce principe de composition, où les lignes politiques n’importeraient pas. Parfois ces sujets sont abordés, mais à l’écart des réunions décisionnaires, c’est-à-dire loin des espaces où ils risqueraient de provoquer un clivage.

Cependant ce rejet a des conséquences plutôt néfastes sur l’intervention et l’ouverture.

Sur l’intervention car il y a un rejet de la stratégie. Plus l’on veut se projeter loin dans le futur plus on risque de tomber sérieusement en désaccord, car l’enjeu est sensiblement plus grand que le programme de la semaine. On va alors éviter de s’aventurer sur ce terrain et ne parler que des perspectives immédiates. Parfois il y a un roulement (un peu de féminisme par-ci, d’anti-impérialisme par-là, …) mais aucune vision n’a vraiment le temps de s’accomplir, d’aller jusqu’au bout de son idée. Parfois une proposition a l’opportunité de se concrétiser sur le temps long, non parce qu’on a décidé collectivement d’emprunter ce cap mais parce que cette proposition domine sur les autres chaque semaine. On ne peut pas dire que ce soit le genre d’esprit de groupe dont on rêve.

Sur l’ouverture car il y a un rejet du politique. Les groupes publics autonomes accueillent à bras ouverts la part consensuelle des individus mais se ferment à leur part contradictoire, autrement dit à la nature profondément politique des relations. Par là, le Nous est tronqué. Nous émoussons nos positions pour ne pas cliver le nombre. Alors que les groupes politiques devraient être les espaces par excellence où l’on ose partager et mettre en débat ce qui nous anime, ici on doit faire preuve de contenance au nom de l’unité à tous prix. De fait, l’ouverture n’est pas effective pour celleux qui refusent de mettre une telle part de soi de côté.

Selon qu’on accepte ou non la contradiction jusqu’au clivage qui pourrait en résulter, on favorise une intervention pensée sur le long terme ou le court terme, une ouverture aux positions ou au nombre.

GROUPE

Nous avons laissé en suspend plusieurs dilemmes : l’autonomie ou le nombre, l’intervention sur le long ou court terme, l’ouverture aux positions ou au nombre.

Mais depuis le début nous avons réfléchi à ces dilemmes du point de vue du groupe, alors que notre but n’est pas d’avoir un groupe fort mais d’accomplir la révolution, quoiqu’on mette derrière ce mot. Le groupe n’est qu’un outil vers ce but.

Cette façon instinctive qu’on a de penser à l’échelle du groupe nous la dénomerons fétichisme du groupe : de croire que la puissance du groupe soit dans ce qui fait groupe, que le sens du groupe soit dans le groupe lui-même, qu’il soit sa propre finalité. En ne pensant qu’au travers lui, vers lui, ce que serait un groupe puissant, nous avons manqué sa finalité révolutionnaire.

Comment le groupe peut contribuer à la construction d’un camp révolutionnaire puissant, voilà la question que l’on devrait plutôt se poser.

Si nous pensons désormais à l’échelle du camp, pouvons-nous résoudre ces dilemmes ?

L’autonomie ou le nombre ?

Nous avons vu que l’augmentation du nombre nourrissait des problèmes de dynamiques internes pratiquement insolubles. Il faudrait limiter l’expansion des groupes pour en assurer l’autonomie.

Mais limiter le nombre dans un groupe ne veut pas dire limiter le nombre à l’échelle du camp. C’est une invitation à créer de nouveaux espaces dotés de leurs propres trajectoires. Autrement dit une division à l’échelle du groupe n’est qu’un réagencement à l’échelle du camp, si toutefois on poursuit l’effort révolutionnaire chacun.e de notre côté.

Mais cela ne nous dit pas encore quel serait le critère de division, et une limite de nombre serait artificielle et absurde.

La contradiction pourrait être ce critère, bien plus organique qu’une jauge. En creusant les désaccords politiques et stratégiques on peut élaborer des trajectoires divergentes qui poussent à la création d’autres espaces. Il faut certes être suffisamment pour s’y lancer, mais n’est-ce pas le propre du politique que d’aller à la rencontre de futur.e.s camarades pour s’organiser ?

Bien entendu on peut également converger dans la discussion, tomber d’accord et rester ensemble. Mais à la différence qu’on reste dans le groupe pour des raisons claires, parce qu’on les a débattues et en assumons collectivement les conséquences.

L’intervention sur le long ou court terme ?

La contradiction pousse à élaborer nos lignes, à justifier par les perspectives au temps long nos idées d’intervention sur le temps court, bref d’avoir de réelles discussions stratégiques. Mais est-ce au prix de la réactivité au temps court ? Passerait-on trop de temps à discuter ?

On a déjà des discussions interminables dans les groupes publics autonomes. On rejoue sans arrêt les mêmes débats, car les tendances restent retranchées dans le même espace sans pouvoir s’assumer pleinement. À chaque réunion les mêmes arguments, les mêmes réserves, les mêmes compromis tièdes.

Si on pousse l’exercice de la contradition jusqu’au bout, des segmentarités se précisent, se reconnaissent, de nouveaux espaces se créent. Il y aurait quelque chose de plus défini, personnel, projectif. On ne repartirait pas de 0 à chaque réunion. Ce cap est un repère commun qui facilite la décision. On peut plus rapidement trancher entre les diverses opportunités qui s’offrent à nous et avancer.

Rien n’empêche les groupes de composer entre eux pour des actions plus massives si elles sont en cohérence avec leurs trajectoires propres. Mais ce n’est plus une obligation, on partirait d’évidences communes.

À l’échelle du camp éprouver les contradictions amène à une pluralité de groupes chacun conscient des choix qui les ont amenés ici, développant leurs interventions vers leur cap commun, et articulant leurs interventions avec d’autres groupes aux moments jugés opportuns.

L’ouverture aux positions ou au nombre ?

Comme évoqué plus tôt à l’échelle du camp il n’y a pas moins de monde, seulement divisé en plus de groupes, et chaque membre a la liberté d’y assumer ses perspectives, ou - si le groupe choisit de ne pas les adopter - de créer d’autres espaces pour les explorer.

En pensant à l’échelle du camp tous ces dilemmes se dissolvent. Le camp est une structure ouverte aux positions et au nombre, qui peut se projeter sur le long terme sans perdre pied du court terme, le tout sans compromettre le principe d’autonomie.

PUBLIC

Beaucoup ont espéré des groupes publics que l’organisation autonome sorte de l’ombre, mais force est de constater que c’est un échec, et que rien ne semble annoncer que nous en approchons.

Il y a certes de nouvelles personnes qui nous rejoignent mais nous sommes bien loins de la promesse que toute personne désireuse de s’organiser puisse nous rejoindre. Il faut encore être à la bonne fac, avoir levé la tête au bon moment vers une affiche, ou avoir dans son entourage des personnes impliquées dans le milieu pour nous en dévoiler l’existence.

Ce n’est pas seulement que tel ou tel groupe n’est pas connu dans telle ou telle ville. L’auto-organisation est une pratique si marginale que quasiment personne n’a même l’idée qu’elle fait partie des options pour reprendre prise sur notre existence au-delà du vote, du militantisme de parti, du syndicalisme ou encore du milieu associatif.

Que nous manque-t-il ? Faut-il mettre un cran au-dessus au niveau de la communication de nos groupes respectifs ? Mais cela demanderait beaucoup d’énergie dans chaque groupe, et nos moyens sont déjà limités.

Là encore sortir du fétichisme du groupe peut nous apporter de nouvelles perspectives. Il importe surtout de diffuser largement la pratique de l’autonomie, indépendamment de sa forme, de son positionnement ou de sa vision de la révolution (l’une des raisons d’être de ce média). Nous devons montrer que l’organisation politique n’est pas une affaire de spécialiste, que tout le monde peut rejoindre ou créer un groupe, autrement dit rejoindre le camp.

Ce que les groupes autonomes publics plus spécifiquement peuvent apporter c’est un espace que des personnes isolées ne sachant pas par où commencer peuvent rejoindre, s’y former, y rencontrer du monde et y développer une vision personnelle du processus révolutionnaire.

Ne croyons pas que nos pratiques soient minoritaires parce qu’elles ne seraient pas désirables. Nous avons toustes appris beaucoup de ces expériences, et malgré les difficultés rencontrées nous ne pouvons pas nier que ces années de lutte nous ont renforcé, nous ont permi de relever la tête. L’organisation demeure le meilleur remède à l’isolement, au découragement et à l’ennui.

VERS UN NOUVEL ÂGE D’OR DE L’AUTONOMIE ?

Plus tôt nous avons défini l’autonomie comme un horizon (une utopie non gestionnaire) et une méthode (l’auto-organisation). Nous pouvons à présent lui donner un troisième sens : l’autonomie comme camp, une structure ouverte qui, loin de chercher à conjurer ses contradictions internes, s’en sert comme moteur d’expansion.

Les groupes publics autonomes pourraient être des catalyseurs de cette structure. Beaucoup de monde y transite de par leur ouverture. La composition y fait se rencontrer des expériences et perspectives très différentes. Leur focus sur l’intervention est un bon prétexte pour avoir des débats stratégiques et politiques ancrés dans le concret, qui amènent à préciser des trajectoires et peut-être inciter à la formation d’autres espaces.

Cependant le fétichisme du groupe prévient d’entrer en contradiction, et par là d’aller aux conséquences politiques de ces courants de fond, ce qui fait des groupes publics autonomes des points de concentration plutôt que d’agitation : une prison dorée. Beaucoup craignent qu’on revienne à l’état de division antérieur aux formes publiques, et voient cette retenue comme une forme de maturité.

Mais la multiplicité invoquée ici est très différente de l’éclatement antérieur à l’apparition des formes ouvertes. Il s’agit d’une multiplicité en interaction, qui certes explore des voies différentes et parfois contradictoires, mais qui de par leur ouverture et la présence d’espaces de composition communiquent des savoirs, confrontent leurs perspectives et articulent leurs forces en action.

Il nous serait permis d’espérer un nouvel élan de formation de groupes de diverses formes et visions, poussés par l’envie de rencontre, de rupture, d’aventure… ; une atmosphère contagieuse happant toujours plus de courants dans l’ébullition collective.